Les réformes du service public annoncées comme les plus prometteuses sont souvent suivies d’espoirs déçus. Pas seulement en raison d’une éventuelle insuffisance des moyens mobilisés. Une autre condition déterminante de la réussite est celle du mode de gouvernance retenu, surtout quand il s’agit de de faire travailler ensemble un grand nombre d’opérateurs comme c’est le cas des espaces France services et des agences France travail. Pourtant, cette question de la gouvernance–sans doute sensible car elle met en jeu le rôle et la place de chacun au sein du dispositif—est généralement moins débattue que celle des moyens, quand elle n’est pas tout simplement passée sous silence. En tout cas, s’agissant des deux institutions récemment créées, elle n’a manifestement pas été placée au centre des préoccupations.
Un modèle de gouvernance laissé à la libre initiative des acteurs locaux
Commençons par évoquer les espaces France Services créés en 2019 à l’initiative de l’État, avec pour objectif de faciliter l’accès aux droits des personnes les plus éloignées géographiquement et sociologiquement des administrations et services publics. La documentation accessible sur le site du Ministère de l’Économie et des Finances l’affiche fièrement: « France services : les services publics près de chez vous ! ». On y lit que « ces guichets regroupent sur leurs sites plusieurs administrations pour simplifier le quotidien des usagers ». Le site de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) ajoute : « Au-delà de l’accompagnement de premier niveau par les agents des France Services, les partenaires peuvent également être présents sous différentes formes : permanences, visioconférences, etc. » (1). Les administrations impliquées (au minimum au nombre de neuf) sont ainsi invitées à y consacrer un peu de leur temps et de leur compétence. Ces annonces prometteuses sont cependant vite rattrapées par un modèle de gouvernance laissé à la libre diligence des acteurs locaux. S’agissant d’un dispositif d’initiative étatique, on pourrait penser que le préfet en définit les règles et en assure le pilotage; mais ce serait un peu vite oublier que le système repose pour une large part sur une implication forte des élus locaux; la prudence du représentant de l’État est donc de mise… Dans les faits, les espaces France services sont effectivement majoritairement portés par une collectivité locale; celle-ci met à disposition un local et désigne un ou deux agents à temps plein ou partagé qui ont pour fonction de définir, en concertation avec les administrations partenaires, les modalités pratiques de leur participation. Or, compte tenu de l’état de leurs propres ressources par définition limitées, ces administrations sont spontanément peu enclines à répondre aux sollicitations de l’espace France services. En résumé, les 2700 espaces France services répartis sur le territoire national, se résument souvent à un agent d’accueil qui dispense une information de premier niveau (au contenu non défini) et oriente l’usager vers l’administration en charge d’instruire son dossier ; dans le meilleur des cas, une assistance à la constitution de son dossier lui sera apportée. Certes, ce service public minimum offre un début de réponse; mais si l’objectif du dispositif était de compenser– même imparfaitement–les difficultés accrues d’accès aux droits consécutives aux fermetures de guichets intervenues ces dernières années, le choix d’un mode de gouvernance plus formalisé, plus directif, s’imposait. (2)
L’absence d’un pilote ayant autorité pour coordonner efficacement le travail des différents acteurs
Dans le champ de l’insertion professionnelle, la Loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023 a créé France travail pour se substituer à Pôle emploi à qui il était reproché un accompagnement déficient– du moins perfectible– des personnes à la recherche d’une insertion durable dans le monde du travail (3). France travail qui revendique un périmètre élargi à tout organisme agissant dans le champ de l’insertion sociale ou professionnelle, se borne à reprendre le système de gouvernance en mode de pilotage flou qui prévalait du temps de Pôle emploi. Pour résumer, France travail demeure un agrégat d’organismes, certains sous l’autorité du préfet, d’autres sous régime décentralisé, des structures de type associatif agissant en faveur des publics en difficulté, etc. Les éventuelles conventions de partenariat censées régir le système ne peuvent suppléer l’absence d’un pilote ayant autorité pour coordonner efficacement le travail des différentes acteurs en charge de l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi (4). Les considérations qui ont présidé à la création de France Travail semblent s’être davantage attachées au «respect» de l’identité et de l’autonomie des organismes partenaires plutôt qu’à l’optimisation de leur intervention au profit des usagers du service.
Dans les espaces France services et les agences France travail, la participation d’organismes aux statuts les plus divers eût exigé qu’une attention marquée fût portée à la question majeure de la gouvernance ; c’est loin d’être le cas pour les deux institutions. Un pilotage flouté permet certes d’éviter de titiller les égos et ménage les susceptibilités institutionnelles… Mais ce mode d’organisation inachevé ne peut que desservir l’objectif qui leur est respectivement assigné: la lutte contre le non recours aux droits et l’accès à un plein emploi de qualité.
(1) Voir : https://www.economie.gouv.fr/particuliers/france-services . Sont associés au réseau France services: la CNAF ; la CNAM ; la CNAV ; la MSA ; Pôle Emploi ; La Poste ; la direction générale des finances publiques (DGFiP) ; le ministère de la Justice, l’ANTS. Les maisons France services ont également intégré de nombreux acteurs locaux, atteignant parfois jusqu’à une quarantaine de partenaires selon le rapport du sénat n° 778 (2021-2022) du 13 juillet 2022.
(2) La circulaire du 1er juillet 2019 relative à la création de France services évoque en termes très généraux la question de la gouvernance des espaces France services (https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44828 ) ; le site de l’Agence nationale de la cohésion des territoires n’est guère plus explicite (voir: France services | Agence nationale de la cohésion des territoires (agence-cohesion-territoires.gouv.fr) . Les insuffisances de la gouvernance du dispositif France services sont pointées dans un chapitre du rapport du Sénat n° 778 du 13 juillet 2022 intitulé : « REPENSER LE PILOTAGE DU RÉSEAU FRANCE SERVICES À TOUTES LES ÉCHELLES POUR ATTÉNUER SON HÉTÉROGÉNÉITÉ ». Les rapporteurs constatent notamment que » La multiplicité des acteurs impliqués dans le programme France services et les fortes variations selon les territoires et les maisons impliquent de mettre un accent tout particulier sur l’échelon départemental, qui doit s’assurer de la cohérence et de la cohésion du réseau (…) Les obligations des préfectures en matière d’animation du réseau France services sont pour l’heure assez limitées (…) Afin de limiter l’hétérogénéité de l’animation d’un département à l’autre, il est nécessaire (…)que l’ANCT formalise un cadre départemental d’animation. » https://www.senat.fr/rap/r21-778/r21-7784.html#toc125
(3) …Et sans doute, de n’avoir pas su approcher d’assez près l’objectif politique de plein emploi !
(4) La Loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023 s’en tient à des dispositions générales sur la gouvernance de France Travail (la loi annonce la création d’un comité national et de comités territoriaux pour l’emploi). Les informations accessibles par ailleurs n’apportent pas de réponse claire: selon le site du ministère de l’emploi, « La loi prévoit (…) la création d’un Réseau pour l’emploi répondant aux besoins des demandeurs d’emploi comme à ceux des employeurs. Il impliquera la coordination des missions relatives à l’accueil, à l’orientation, à l’accompagnement, à la formation et à l’insertion pilotées par : – L’opérateur France Travail, qui conservera, en propre, l’ensemble des missions aujourd’hui confiées à Pôle emploi – Les Missions locales, qui demeureront les premiers interlocuteurs des jeunes demandeurs d’emploi -Le réseau Cap emploi, interlocuteur des travailleurs en situation de handicap – Les différents services publics pilotées par l’État ou les collectivités locales (régions, départements, bloc communal…) susceptibles de répondre aux besoins des demandeurs d’emploi et employeurs. Un comité national pour l’emploi et des comités territoriaux pour l’emploi permettront de définir les orientations et le fonctionnement du système tout en répondant aux particularités propres à chaque bassin d’emploi. » ( https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/france-travail/ ). Quant au site France travail.fr, il évoque « une coopération renforcée avec l’ensemble des acteurs de l’emploi, de la formation et de l’insertion. Il (l’accompagnement des demandeurs d’emploi) se traduira par la mise à disposition de nouveaux services co-construits avec nos partenaires, acteurs de l’emploi, de la formation et de l’insertion, pour favoriser le retour à l’emploi de tous et faciliter les recrutements » ( https://www.francetravail.fr/actualites/france-travail/pole-emploi-france-travail.html )