Longtemps, les français sont partis à la retraite de bonne heure…
À mesure que le nombre de retraités croît et que leur espérance de vie grandit, on conçoit que l’équilibre du système de retraite puisse en être affecté, dès lors que les paramètres de financement demeurent inchangés (1). On admettra aussi que la réponse du Gouvernement—le report de l’âge légal de départ à la retraite– n’est pas la seule piste envisageable pour garantir l’avenir et la stabilité du régime; à supposer d’ailleurs qu’elle y parvienne…
Il est à cet égard curieux d’observer que l’option retenue consiste à imposer un temps de travail supplémentaire en fin de carrière, à une époque où beaucoup d’actifs affichent une motivation en berne et aspirent à profiter au plus vite du temps de la retraite… en caressant l’espoir légitime d’en jouir un certain temps en bonne santé, un espoir qui, à 64 ans, sera souvent déçu (2). En outre, il est clair que la prolongation de la vie active n’aura qu’un impact limité sur les grands équilibres : les travailleurs fatigués et/ou astreints à des travaux pénibles seront finalement accompagnés vers des dispositifs de substitution aussi couteux que les pensions de retraite: allocations de chômage, pension d’invalidité et autres minima sociaux (RSA). Seule une politique réellement proactive – qui reste à inventer—en faveur du maintien des seniors au travail pourrait lui donner un peu de sens et d’efficacité. (3)
Une autre répartition du temps de travail tout au long de la vie active
À ce report de l’âge de départ à la retraite à l’efficacité et l’acceptabilité douteuses, on peut opposer l’augmentation du nombre d’heures travaillées selon une autre répartition tout au long de la vie active, de façon à élargir– sans (forcément) toucher à l’âge de départ à la retraite– l’assiette des cotisations destinées au financement du système. Sur ce point, il est bon de se reporter à l’évolution du temps de travail sur les dernières décennies: depuis 1975, la durée annuelle effective du travail a baissé de 17% (4). Cette évolution qui concerne la plupart de catégories de salariés s’explique notamment par les réformes législatives sur la durée hebdomadaire du travail et par le développement du travail à temps partiel (5). Certes, cette réduction du temps de travail répondait – et continue de répondre–aux attentes de la société en accordant plus de temps libre et en facilitant l’accès à la culture d’un plus grand nombre. Mais il faut désormais composer avec une réalité nouvelle: la hausse du nombre de retraités, l’augmentation de l’espérance de vie et la réduction du nombre d’actifs cotisants. Face à ce nouvel environnement, la question de l’équilibre financier du système se pose. À ce titre, la réflexion sur une autre répartition du temps de travail tout au long de la vie active mérite d’être engagée.
C’est le choix inattendu qui est proposé aux français ; c’est le choix de la double peine
Revenons-en à la réforme proposée par le Gouvernement : en plus des deux années de travail supplémentaires imposées, l’âge de départ retenu – 64 ans–est très proche de l’espérance de vie en bonne santé. C’est le choix inattendu qui est proposé aux français ; c’est le choix de la double peine.
Face à ce sujet complexe, les promoteurs de l’idée (compréhensible mais simpliste) d’un référendum de type « pour ou contre la réforme des retraites » savent trop bien à quel rejet massif il conduirait, compte tenu du caractère régressif de la composante principale de la réforme envisagée. L’évolution du système de retraite commande plutôt de retenir collectivement et selon des modalités de concertation à définir, la pondération la meilleure entre les différents leviers aptes à en garantir la pérennité et la justice sociale.
Longtemps, les français sont partis à la retraite de bonne heure… Et ils n’ont toujours pas envie d’en changer!
- (1) Rappelons que dans un régime de retraite par répartition, les cotisations versées par les actifs sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités ; l’équilibre financier dépend, côté dépenses, du nombre de retraités et de leur durée de vie et, côté recettes, principalement du montant des cotisations prélevées sur les heures travaillées. https://www.info-retraite.fr/portail-info/sites/PortailInformationnel/home/le-systeme-de-retraite-en-france/un-systeme-par-repartition.htm
- (2) Au sujet de l’espérance de vie en bonne santé ( à compter de la naissance): https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281641?sommaire=3281778&q=esperance+de+vie+bonne+sant%C3%A9#tableau-figure1 ; https://www.vie-publique.fr/en-bref/288403-esperance-de-vie-en-bonne-sante-67-ans-femmes-656-ans-hommes . Voir aussi: https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/15/qu-est-ce-que-l-esperance-de-vie-en-bonne-sante-indicateur-recurrent-des-debats-sur-l-age-de-depart-a-la-retraite_6122315_4355770.html
- (3) Le problème se pose avec une acuité particulière en France : après 60 ans, un tiers seulement des français occupent un emploi. Voir : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/80d94dd7dbc89f535116072a9a536201/Dares_tableau-de-bord-seniors_T42021.pdf Voir également un article éclairant de Ouest France: https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/retraites-ces-couts-caches-qui-limitent-l-interet-de-reporter-l-age-a-64-ans-4b7a7716-b6c0-11ed-8162-65d84108a21b
- (5) A noter que la réduction du temps de travail depuis 1975 a surtout profité aux salariés employés à temps complet ; les cadres notamment ceux employés au forfait en jours en ont moins bénéficié. Voir: https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4238439/FPS2019_E2.pdf