Complémentaires santé : l’âge, un facteur discriminant (bien) toléré

Selon que vous serez jeune ou vieux, les sociétés d’assurances et les mutuelles ne vous réserveront pas le même accueil tarifaire. En clair, plus vous serez âgé, plus la complémentaire santé vous coûtera cher. Cette situation est largement mise en lumière par une étude sur l’état des discriminations en France réalisée en 2017 par SOS racisme en partenariat avec le CNRS (1). S’agissant de la couverture complémentaire santé, l’enquête menée auprès de 52 établissements fait ressortir que « l’’individu de 42 ans se voit proposer un tarif de l’ordre de 50% plus élevé que les individus de 22 ans à niveau de garantie comparable ».

Que valent de telles pratiques appréciées à l’aune du droit français ? L’article 225-1 du code pénal pose une interdiction générale de discriminer sur un critère d’âge… Mais l’article 225-2 limite la portée de cette règle vertueuse en cantonnant la sanction pénale au seul cas de refus opposé à une demande de couverture santé fondée sur l’âge du candidat. D’interprétation stricte, les dispositions du code pénal tendent donc à épargner les pratiques de tarifs différenciés selon l’âge… Au risque de laisser passer des tarifs qui peuvent se révéler dissuasifs, voire prohibitifs pour les plus âgés et moins fortunés d’entre nous. Au risque d’aboutir au même résultat qu’un refus d’assurer. Quant à la loi du 27 mai 2008 (2), tout en affirmant haut et fort le principe d’égalité de traitement, elle reprend cette idée que, s’agissant de l’âge, on peut admettre des « différences…lorsqu’elles sont justifiées par un but légitime et que les moyens de parvenir à ce but sont nécessaires et appropriés ». Dans ce contexte juridique plutôt accommodant, les organismes complémentaires —qu’il s’agisse de compagnies d’assurances privée à but lucratif ou de mutuelles régies par le code de la mutualité– n’ont guère à s’inquiéter de la compatibilité de leur grille tarifaire avec le principe général d’égalité de traitement ; d’autant qu’un large consensus entoure l’idée selon laquelle plus on avance en âge, plus on est exposé à des problèmes de santé.

Pourtant, si l’on peut concevoir que les compagnies d’assurance classiques (à but lucratif) optent pour une politique de segmentation de la population, peut-être mieux à même d’optimiser leurs résultats, la question de la solidarité intergénérationnelle devrait interroger les organismes mutualistes qui pratiquent eux aussi couramment des tarifs différenciés selon l’âge (les plus âgés étant soumis comme toujours à des primes plus élevées). Où se situe donc la spécificité de la politique mutualiste si les contraintes économiques et concurrentielles aboutissent à des pratiques tarifaires analogues à celles des sociétés d’assurance? Certes, selon une enquête de la DREES parue en 2016 (3), les mutuelles pratiquent en général des écarts tarifaires plus mesurés selon les tranches d’âge que les sociétés d’assurance;  mais, même appliquées avec modération, ces différences de tarifs ne conservent-elles pas leur nature discriminatoire ?  Ou, si l’on veut reprendre les termes de la loi de 2008, est-il définitivement acquis que les différences de traitement selon l’âge répondent à un but légitime et qu’elles sont nécessaires et appropriées ?

Opter pour une politique prenant en compte l’état de santé réel de la personne

En fait, l’assureur n’est jamais lié par le critère d’âge et dispose même d’une alternative : il lui est  possible d’opter pour une politique prenant en compte l’état de santé réel de la personne. Une enquête de santé personnalisée permet à l’assureur de se faire une opinion exacte du risque, la loi autorisant les organismes complémentaires à retenir, au moins pour les contrats individuels (4), l’état de santé comme critère justificatif d’une différence de traitement. Ça ne changerait pas grand-chose au final pour le client ? Voire. Au moins, une telle politique portée par le monde mutualiste irait dans le sens impulsé par l’OMS (5) et les institutions européennes (6) en contribuant à la lutte contre l’âgisme ambiant qui cautionne,  parfois encourage implicitement des postures individuelles, collectives ou même institutionnelles contraires au principe de non-discrimination.

L’obligation d’égalité de traitement selon l’âge n’a pas mis en péril les organismes complémentaires qui gèrent des contrats collectifs

Enfin, s’il fallait se convaincre que l’âge est un critère dont l’assureur peut se passer, il suffirait de rappeler que les contrats collectifs (4) – ces contrats que les entreprises ont l’obligation de proposer à leurs salariés à titre de complémentaire santé– ne sont pas autorisés à retenir l’âge comme critère individuel de tarification (7). On observera que cette règle d’égalité de traitement n’a pas mis en péril les organismes complémentaires qui gèrent des contrats collectifs.

Que conclure sinon que la prise en compte de l’âge dans les systèmes de couverture santé revêt bien une nature discriminatoire et que cette situation est finalement bien tolérée par les acteurs du système? Dans le contexte juridique et sociétal actuel, la tâche peut sembler ardue, mais l’objectif d’égalité de traitement en matière de complémentaire santé ne doit pas pour autant être délaissé pars les organismes engagés dans la lutte contre les discriminations liées à l’âge. (8)

(1) Etude DIAMANT de SOS racisme en partenariat avec le CNRS sur : http://mlcgt.fr/wp-content/uploads/2017/11/Dossier-de-presse-Etude-DIAMANT.pdf

(2) La loi 2008-496 du 27 mai 2008 a pour objet d’aligner le droit français sur le droit communautaire en matière de discrimination.

(3) L’enquête de la DREES : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/oc2016.pdf

(4) Les contrats souscrits auprès des organismes complémentaires sont, soit des contrats individuels, c’est-à-dire conclus directement par un individu auprès d’un organisme, soit des contrats collectifs, c’est-à-dire conclus par un employeur pour ses salariés ; en 2012, 54% de la population était couverte par une complémentaire souscrite à titre individuel et 35% par un contrat collectif.

(5) L’action de l’OMS :  https://www.who.int/fr/news-room/detail/29-09-2016-discrimination-and-negative-attitudes-about-ageing-are-bad-for-your-healthhttps://www.who.int/ageing/features/faq-ageism/fr/

(6) Les initiatives européennes : Jusqu’à présent, les directives européennes de lutte contre les discriminations ont été limitées au champ du travail; depuis 2008, une proposition de nouvelle directive vise une égalité de traitement plus large en couvrant notamment la protection sociale, y compris les soins de santé. Cette proposition est cependant bloquée depuis des années en raison de l’opposition de quelques Etats de l’UE.

(7) L’interdiction du critère d’âge pour les contrats collectifs est prévue par l’article R 242-1-1 du code de la sécurité sociale.

(8) Parmi ces acteurs impliqués, on peut citer l’Observatoire de l’âgisme, collectif créé début 2008 et rassemblant associations, médias, chercheurs, personnalités…, désireux de réfléchir aux discriminations liées à l’âge afin de mieux lutter contre. http://www.agisme.fr/     Voir également : www.defenseurdesdroits.fr


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