La prochaine réforme de l’action de groupe devrait permettre aux victimes des dysfonctionnements des administrations et des services publics d’obtenir plus facilement la cessation des manquements et la réparation des préjudices subis.
La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe en cours de discussion devant le Parlement modifie profondément le dispositif de l’action de groupe en offrant un cadre juridique plus efficace, notamment pour les victimes des services publics défaillants (1). Car s’il y a un domaine où les conditions sont couramment réunies pour que de telles actions collectives prospèrent, c’est bien celui des services publics: toute défaillance systémique y est subie par un grand nombre d’usagers avec, pour chacun d’eux, un préjudice, même modique, à la clé. Certes, en théorie toute victime peut saisir la justice. Mais le passage à l’acte est rare; la résignation l’emporte le plus souvent au regard des difficultés réelles ou pressenties d’accès à l’appareil judiciaire. L’administration a beau jeu de tabler sur l’isolement de l’usager pour ne rien changer à ses pratiques.
Une portée bien supérieure à une somme d’actions judiciaires individuelles
De nombreux services publics sont devenus quasiment inaccessibles à la suite des politiques de dématérialisation menées ces dernières années ; l’absence totale de guichet et d’accompagnement humain pour de nombreuses procédures entièrement numérisées, constituent un réel obstacle dans l’accès aux droits pour les personnes peu familières des outils numériques…(2) Et aussi pour les autres, pour peu que le système soit mal conçu ou se grippe à la suite de quelque aléa ou situation de vie réelle ignorée du programme informatique. Il suffit de citer, à titre d’illustration, le dispositif MaPrimeRénov destiné à inciter les particuliers à investir dans des systèmes d’économie d’énergie avec la promesse de subventions qui tardent à être versées, au point que des centaines de «bénéficiaires» sont à la peine pour rembourser leurs emprunts. En cause, un dispositif géré par l’ANAH, un établissement public qui ne répond ni aux courriers, ni au téléphone et ne dispose, cela va de soi, d’aucun guichet physique sur le territoire (3). Il est clair qu’en réponse à ce type de d’insuffisances systémiques et d’entorses aux principes d’égalité et de continuité du service public, une action de poursuite collective devant les tribunaux–voire la simple menace d’une telle action assortie de son écho médiatique–aura une portée bien supérieure à une somme de procédures judiciaires individuelles; bien supérieure aux lamentations d’usagers épisodiquement relayées par les médias ou les questions des parlementaires.(4)
Un puissant levier à la disposition des plaignants regroupés en associations ou syndicats
L’ordre juridique actuel, applicable pour quelques temps encore, ne permet guère aux usagers des services publics de se muer en une force juridique puissante, capable d’impulser des changements de priorités politiques et budgétaires. L’action de groupe issue de la réforme à venir, même avec des limites importantes dans ses modalités de mise en œuvre (5) et son champ d’application (6), a vocation à devenir un puissant levier à la disposition des plaignants regroupés en associations ou syndicats, pour obtenir réparation et mettre un terme aux manquements des services publics et à l’inertie fautive des administrations.
(1) L’action de groupe (transposition des fameuses class actions américaines) est une procédure de poursuite collective qui permet aux victimes d’un préjudice identique, de la part d’une entreprise, d’un professionnel ou d’une institution publique de se regrouper devant les tribunaux. Les plaignants peuvent ainsi se défendre avec un dossier commun et un seul avocat. En ce qui concerne la France, l’action de groupe a été introduite en France par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. En 2016, elle a été étendue aux litiges en matière de santé, d’environnement, de protection des données personnelles et de discriminations au travail puis, en 2018, aux litiges relatifs à la location d’un logement. La proposition de loi déposée par les députés Vichnievsky et Gosselin (groupe MODEM) le 15 décembre 2022 devant l’Assemblée nationale est née du constat que le dispositif issu des lois précitées était inefficace et, en conséquence, largement sous utilisé ; la PPL procède à une refonte juridique de l’action de groupe en élargissant son champ à – presque–toutes les matières. Désormais tout dommage consécutif au manquement d’un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles peut donner lieu à une action collective visant à obtenir la cessation du manquement et la réparation du préjudice ; d’autres dispositions visent à simplifier l’accès à la procédure d’action de groupe, assurer une meilleure indemnisation des victimes et réduire les délais de jugement.
(2) On notera à ce sujet que la fracture numérique ne concerne pas que les personnes âgées et les étrangers ; les jeunes aussi peuvent être en être victimes: https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/01/28/les-jeunes-francais-victimes-insoupconnees-de-la-precarite-numerique_6111324_4355770.html
(3) Le Défenseur des droits signale au sujet de ce dispositif :« l’Impossibilité de créer un compte ou un dossier, de déposer en ligne les pièces justificatives, de modifier les éléments du dossier et finalement d’engager les travaux… Telles sont les difficultés dans l’accès au service MaPrimeRénov’, qui peuvent conduire les usagers les plus précaires à se retrouver dans une situation encore plus difficile, dénonce l’autorité administrative indépendante. Ce sont ces mêmes foyers qui aujourd’hui encore pâtissent des dysfonctionnements du service, du manque d’interlocuteurs et d’un défaut d’informations. » https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2022/10/maprimerenov-la-defenseure-des-droits-fait-des-recommandations-face-a
(4) https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-1380QE.htm
(5) Les limites de la réforme en cours ont été pointées par certains professionnels du droit ; voir : https://www.actu-juridique.fr/affaires/droit-economique/encore-un-effort-pour-doter-la-france-dune-veritable-class-action-efficace/
(6) Il y a également un domaine où l’on aurait pu concevoir l’intérêt majeur de l’action de groupe. C’est celui du droit du travail où l’action de groupe demeure cantonnée à la lutte contre les discriminations. Un tel élargissement qui aurait ouvert la porte à de puissantes actions collectives n’a pas été retenu par le législateur… Un exemple bien connu– maintes fois évoqué dans le présent blog—concerne le sort réservé aux travailleurs des plateformes numériques : s’agit-il vraiment de travailleurs indépendants comme le prétendent les plateformes ou plutôt de salariés, comme leurs conditions d’emploi et de travail le suggèrent fortement? Cette interrogation majeure qui concerne des milliers de travailleurs fait l’objet de réponses ponctuelles au fil des décisions judiciaires rendues à l’initiative de quelques travailleurs ubérisés ; au final, les jugements qui ont souvent prononcé la requalification en contrat de travail ne pèsent guère sur les entreprises de plateformes ; celles-ci n’accordent le salariat qu’aux seuls travailleurs ayant saisi la justice avec succès et se gardent bien d’en tirer les conclusions pour l’ensemble de leurs travailleurs.