Tout est simple en théorie. L’UNEDIC gère un système d’assurance contre le chômage. A ce titre, il couvre les salariés qui n’ont pu échapper au risque du chômage. Corollaire, celui qui se met volontairement en situation de risque ne peut bénéficier de la couverture de son assureur. Mais en bonne logique, tout assuré normalement constitué cherche à échapper au risque contre lequel il s’assure. C’est d’ailleurs sur ce principe que tout système d’assurance est fondé.
Quelle est donc la singularité du système d’assurance contre le risque de chômage ? Ou qu’est-ce qui peut rendre le risque assuré séduisant, au point que s’impose l’idée que des contrôles systématiques et resserrés des « victimes » sont indispensables ? Au moment où la ministre chargée du travail annonce le triplement du nombre d’agents de Pôle emploi affectés au contrôle des chômeurs, il n’est pas inutile de s’arrêter sur la question ; car on ne peut imaginer de mettre un agent de pôle emploi, fût-il déguisé en gendarme, derrière chaque personne se déclarant privée d’emploi.
Le peu d’attractivité des emplois proposés
Il est intéressant de s’attarder sur l’emploi lui-même … Celui que l’on est, a priori, toujours censé préférer à la situation de chômage. Il faut alors admettre que le problème réside souvent dans le peu d’attractivité des emplois proposés. En clair, tant que le marché du travail proposera des emplois dont les caractéristiques – notamment le faible niveau de rémunération — les mettront en concurrence directe avec l’indemnisation versée ou même avec les minima sociaux, on ne pourra contenir les stratégies grossières d’évitement ou les plus fines (du style : motivation douteuse du candidat durant la période d’essai). La qualité des emplois proposés – salaire et conditions de travail— doit toujours être supérieure au « confort » que peut apporter le risque d’en être privé (la remarque vaut également pour le secteur non marchand : pourquoi faudrait-il que les emplois y soient peu rémunérateurs au motif que l’employeur ne poursuit pas un but lucratif, qu’il vit de l’aide publique ou de la solidarité collective ?).
En fait, nombre d’acteurs économiques et politiques –y compris des observateurs et médias reconnus et avisés –feignent d’ignorer que la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande s’applique aussi au marché du travail; ils se bornent à interroger le niveau des allocations versées, suggérant que celles-ci sont généreuses au point d’induire des comportements inappropriés. Pourtant, pourquoi un demandeur d’emploi normalement qualifié souhaiterait-il rester durablement au chômage ? Et peut–on sérieusement envisager de réduire des minima sociaux dont le niveau permet tout juste de survivre? Les mêmes affichent leur penchant pour un contrôle renforcé, censé apporter un accompagnement au « chercheur d’emploi »; mais ils pourraient concéder mezzo voce que cette solution est moins coûteuse que la soumission à la loi du marché… Il est plaisant de noter que le contrôle des chômeurs est bien le seul domaine où le Medef se veut partisan d’un étatisme résolu!
Le marché, premier régulateur du système
Augmenter les salaires, améliorer les conditions de travail, c’est effectivement coûteux. Et donc déraisonnable… au nom de l’emploi ! Car l’augmentation des charges réduit les marges de l’entreprise et peut entraver la création d’emplois. Certes, mais cela vaut pour tout renchérissement d’un facteur de production. Il reste qu’une politique qui fait peser la cause du déséquilibre du système sur les seuls demandeurs d’emploi, outre son caractère partial, néglige à tort le marché comme premier régulateur du système.
Alors, soyons cohérent : hormis les stratégies de fraude organisées –comme on en croise dans tout système d’assurance— laissons « La main invisible »* régir le marché du travail. Elle seule saura détourner durablement le candidat à l’emploi de son penchant présumé pour le chômage. Et gageons qu’elle saura préserver de façon tout aussi durable l’équilibre financier du régime d’assurance-chômage.
*Adam Smith, économiste écossais, est à l’origine de la théorie de la « main invisible » qu’il a présentée dans son ouvrage de 1776, La richesse des nations, considéré comme l’un des textes fondateurs du libéralisme économique. La formule évoque l’idée que des actions guidées par notre seul intérêt peuvent contribuer à la richesse et au bien-être commun.