Place des femmes dans l’entreprise: les quotas, au coeur de controverses et d’incertitudes juridiques

Dire que l’application de quotas permet de faire progresser les mentalités et de favoriser l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail n’est guère contestable. Le législateur en a pris acte ces dernières années à travers deux lois : la loi du 27 janvier 2011 qui pose une obligation de respecter un taux de féminisation devant atteindre 40% au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des entreprises d’au moins 500 salariés réalisant au moins 50 millions d’euros de chiffre d’affaires (1) et loi du 12 mars 2012 qui vise l’application du principe de parité dans les nominations au sein de la haute fonction publique, par l’instauration de quotas de « personnes de chaque sexe » à hauteur de 40 %. Le législateur a donc recours à ce système de « discrimination positive » en faveur des femmes mais dans un champ qui reste limité aux instances dirigeantes. Faut-il aller plus loin?

Ce ne peut être qu’un dispositif temporaire   

 Il faut d’abord rappeler que cette idée de quota en faveur des femmes est loin de réunir un consensus autour d’elle. Elle n’est guère satisfaisante sous un angle philosophique, car elle peut évidemment donner à penser que les femmes ont besoin d’un coup de pouce pour tenir des postes habituellement occupés par des hommes, alors que seule la compétence devrait les départager…On peut voir la situation sous un autre angle et soutenir à l’inverse que les femmes, par leur aptitude à saisir la réalité de manière différente, peuvent enrichir les relations sociales et apporter professionnalisme et harmonie au sein de l’entreprise. Mais cette approche fait aussi l’objet de critiques au motif qu’elle « naturalise » la différence entre les deux sexes, alors que toute différence de traitement est nécessairement le produit d’une construction sociale inégalitaire (2). On peut ajouter que, considérée à la lettre, une mesure de quotas sexués tend, en ce qu’elle nie l’existence de toute différence, à  s’opposer par sa rigidité à la recherche d’un équilibre hommes-femmes approprié à un contexte professionnel déterminé. Bref, quel que soit l’angle sous lequel on aborde la question des quotas, s’il est admis qu’ils peuvent contribuer à rompre avec une situation d’inégalité qui s’est construite au fil du temps, ce ne peut être qu’un dispositif temporaire. Une fois l’objectif atteint, les quotas ont vocation à disparaître, conformément au principe premier de l’égalité de traitement. En résumé, l’application de quotas sexués peut être imposée aux entreprises pour une période transitoire aussi courte que possible…Mais quand même le temps nécessaire à ce que les recrutements–hommes ou femmes– s’effectuent de façon naturelle et spontanée, à l’abri de tout traitement différencié qui ne prendrait pas en compte le bien commun.

Une simple omission du législateur ?                                                                                      

On pourrait en rester là ; mais il y a une dernière chose à considérer–et non des moindres–pour l’employeur: les quotas sont –ils bien compatibles avec notre droit ? Les deux textes cités plus haut permettent de répondre par l’affirmative pour les champs qu’ils couvrent. Mais quid pour le commun des salariés, qu’ils soient cadres, employés ou ouvriers?                                                             Une lecture attentive des textes qui traitent  de l’égalité  professionnelle et de la lutte contre les discriminations rend compte d’une réglementation hésitante. Certes, en premier lieu, il y a bien l’article L 1142-4 du code du travail qui permet des « mesures temporaires » au profit des femmes (parmi ces mesures, pourquoi pas des quotas ?) qui rompent avec le principe d’égalité de traitement; ce texte précise que de telles mesures peuvent être mises en place « par voie réglementaire, par accord collectif étendu, voire par le plan pour l’égalité professionnelle ». Mais il y a aussi l’article 1132-1 qui a pour objet de lutter contre les discriminations : or, ce texte est catégorique sur l’interdiction de prendre en compte le sexe comme argument pour refuser un recrutement (sauf cas extrêmes, tels que les mannequins cités par l’article R1142-1 du code du travail) et il ne fait aucune allusion aux fameuses mesures temporaires de l’article L 1142-4 précité. Cette contradiction–au moins apparente—risque de fragiliser au plan juridique toute préférence affichée pour un sexe lors d’un recrutement qui se donnerait pour objet de procéder à un rééquilibrage délibéré en faveur des femmes. Simple omission du législateur ? Pas sûr, car on ne peut que remarquer que les textes relatifs à la lutte contre les discriminations autorisent de façon expresse les différences de traitement pour toute une série de bénéficiaires : les salariés âgés, les handicapés, les personnes issues de zones géographiques sensibles ou encore les personnes vulnérables pour raison économique (articles L 1133-1 à L 1133-6 du code du travail). On ne peut manquer d’observer que les femmes n’ont pas été reprises dans cette liste.

 Le droit, reflet des rapports de force et controverses qui traversent la société

Un doute subsiste donc sur la position du législateur–et donc de notre droit– face à une politique de quotas réservés aux femmes. Il faut se rendre à l’évidence et considérer que le droit français manifeste une inclination limitée pour la discrimination positive (3). On observe par ailleurs  une certaine timidité des partenaires sociaux dans ce domaine: les stipulations que l’on trouve dans les accords collectifs sont souples ; si elles encouragent de façon explicite les employeurs et leurs interlocuteurs syndicaux à faire progresser la part des femmes notamment sur les postes à responsabilité, elles se gardent bien de fixer des objectifs de résultat contraignants. (4)

C’est peut-être dommage pour les partisans résolus des quotas et de l’égalité au plus vite ; mais le droit a rarement pour vocation de précéder; il accompagne et encadre et parfois permettre une accélération du tempo. En l’occurrence, il n’est jamais que le reflet des rapports de force et controverses qui traversent une société. En tout cas, une levée explicite des incertitudes juridiques  évoquées précédemment n’interviendra que si, de façon concrète, un groupe de pression le demande avec suffisamment de conviction. Avec à la clé, une possible, voire probable accélération de la progression des femmes dans l’entreprise sur des postes à responsabilité ou plus simplement sur  des emplois majoritairement ou exclusivement occupés par des hommes.

(1) Dès 2020, cette obligation sera étendue aux sociétés d’au moins 250 salariés réunissant les mêmes conditions.

(2) On notera que toute conception trop intransigeante dans ce domaine se heurte à un moment donné au principe de réalité ; pour illustrer ce point, on notera par exemple que la législation actuelle prend logiquement en compte la spécificité des sexes dans le champ de la santé en disposant notamment que « l’évaluation des risques par l’employeur tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe » (article L 4121-3 du code du travail)

(3) La discrimination positive –c’est ainsi que s’analyse une politique de quotas– consiste à accorder un traitement préférentiel à une partie de la population habituellement victime de discrimination afin de rétablir l’égalité des chances. Le concept de discrimination positive (affirmative action) est né aux Etats-Unis dans les années 1960-1970 afin de mettre fin aux mauvais traitements infligés aux descendants d’esclaves mais aussi pour éradiquer la discrimination subie par certains individus du fait de leur sexe ou de leur origine ethnique. En clair, il s’agit de créer une inégalité afin de rétablir l’égalité. En France, la discrimination positive est souvent perçue comme intrinsèquement contraire au principe républicain d’égalité. Cela n’a cependant pas empêché le législateur d’y recourir ; outre les deux textes législatifs de 2011 et 2012 mentionnés, on peut citer les quotas obligatoire d’emploi de travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés qui sont imposés aux entreprises occupant plus de 20 salariés à hauteur de 6 % de leur effectif (L 212-2 du CT).

(4) Voir quelques accords collectifs cités sous l’article L 1142-4 du code du travail: https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006900804&cidTexte=LEGITEXT000006072050

Repères

– Les textes du code du travail relatifs à l’égalité professionnelle:

Article L1142-1Sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut :1° Mentionner ou faire mentionner dans une offre d’emploi le sexe ou la situation de famille du candidat recherché. Cette interdiction est applicable pour toute forme de publicité relative à une embauche et quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé ;2° Refuser d’embaucher une personne, prononcer une mutation, résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d’un salarié en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse sur la base de critères de choix différents selon le sexe, la situation de famille ou la grossesse ;3° Prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation. 

 Article L1142-4 Les dispositions des articles L. 1142-1 et L. 1142-3 ne font pas obstacle à l’intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes. Ces mesures résultent :1° Soit de dispositions réglementaires prises dans les domaines du recrutement, de la formation, de la promotion, de l’organisation et des conditions de travail ;2° Soit de stipulations de conventions de branches étendues ou d’accords collectifs étendus ;3° Soit de l’application du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.                        

-Les textes relatifs à la lutte contre les discriminations:

Article L1132-1 du code du travail (extrait): « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement (…) en raison de son sexe ». Ces dispositions sont tempérées par l’article L1133-1 : « l’article L1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. On conçoit évidemment la portée de ces dérogations de bon sens et relativement bien délimitées, accordées notamment pour le cinéma ou le mannequinat par l’article R1142-1 du CT.                                                                                                                A noter : ces dispositions du code du travail ont leur pendant dans le code pénal à travers les articles L 225-1 et L225-3


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